Coexistence Homme-faune

  • Dans le village de Bomassa, à l'entrée du Parc national de Nouabalé-Ndoki, au nord de la République du Congo, il a longtemps été impensable de cultiver des champs. Cela est dû à une concentration exceptionnelle d'éléphants de forêt (0,7 individu au km2), qui ont un goût prononcé pour les produits frais. Ces géants de la forêt, qui mangent plus de 150 kg de végétaux par jour, s'aventurent dans les villages la nuit et ravagent les cultures. Un problème récurrent qui semblait insoluble, malgré de nombreuses tentatives pour les dissuader de s'approcher. Puis, à la fin des années 2010, l'idée a été émise de construire une clôture électrique pour tenir les éléphants à distance.
    © S.Ramsay/WCS
  • Dans le nord du Congo, le conflit homme-faune est une préoccupation à la fois pour les éléphants de forêt, en danger critique d'extinction, et pour les populations locales, dont la sécurité alimentaire est en jeu. 

    « Depuis les années 2000, le Parc et les communautés ont essayé de nombreuses solutions : haies de piment, clôtures en ruche, tirs de sommation, mais aucune n'a donné des résultats satisfaisants, soit parce qu'elles étaient inefficaces, soit parce que les communautés n'y ont pas adhéré, et les populations sont restées dépendantes des marchés extérieurs, » explique Cisquet Kiebou-Opepa, chargé du suivi du champ électrifié d'Elanga, qui s'est imposé comme une solution viable au problème du conflit homme-faune.
    © S.Ramsay/WCS
  • Situé à proximité du village, le projet Elanga consiste en une clôture électrifiée autour d'un champ de quatre hectares, divisé en petites parcelles de 600 m2, qui sont gérées et cultivées par les membres de la communauté. Quelques familles ont planté des papayers et des bananiers, quelques plants de piment, mais la majorité des champs sont utilisés pour cultiver du manioc, l'aliment glucidique de base dans cette partie de l'Afrique. Les tubercules de manioc sont transformés en farine et les feuilles sont consommées comme légumes. 

    Les agriculteurs paient une petite redevance mensuelle pour l'entretien de la clôture et participent bénévolement à certains travaux, notamment le nettoyage de la végétation autour de la clôture.
    © S.Ramsay/WCS
  • Dès l'entrée, le champ ressemble à un labyrinthe. Quelques arbres ont été laissés pour apporter de la fraîcheur et de l'ombre, et seuls les bénéficiaires remarquent les marques subtiles laissées sur le sol pour délimiter chaque parcelle. Le manioc domine à perte de vue, un parterre de ces feuilles si particulières, pointues, fines et teintées de rouge. 

    En moyenne, chaque hectare produit jusqu'à 55 kg de poivrons, 141 kg de patates douces, mais surtout un total estimé à près de 1,8 tonne de feuilles de manioc, et 11 tonnes de tubercules. Un rendement très proche de celui des plantations traditionnelles (13 tonnes par hectare).
    © S.Ramsay/WCS
  • Parmi les participants au projet Elanga les plus diligents, Jean Pierre Ndinga, dit Ebende, ne manque jamais de participer au nettoyage de la clôture tous les jeudis. « Les grands animaux avaient l'habitude de perturber nos cultures, mais maintenant le courant électrique a dit « non, vous ne pouvez plus entrer dans les champs. » Lorsque nous avons commencé à travailler dans ce champ, c'était une fierté pour nous, ici à Bomassa. Maintenant, nous pouvons manger du saka-saka, du manioc, des bananes plantains... », dit-il dans sa langue maternelle, le mbangombe. 
    Les exploitants de chacune des 59 parcelles ne sont bien sûr pas tous aussi attentifs les uns que les autres. Le versement des contributions est souvent fait avec du retard et les sommes collectées fluctuent en fonction de la situation de chacun. Cependant, une tendance à la hausse des paiements et de la participation semble se dessiner, car les gens sont de plus en plus conscients des avantages d'Elanga, dont la viabilité a été documentée par une étude approfondie menée par Steeve Ngama, un expert gabonais en éléphants travaillant pour l'IRAF/CENAREST, en 2021.
    © S.Ramsay/WCS
  • Avant la création du projet Elanga, une clôture similaire avait été installée au camp de recherche de Mbeli. Dans ce site de recherche scientifique au sein du Parc, la densité d'éléphants menaçait la sécurité des chercheurs. « Elanga a été réalisé à la demande de la population, les personnes qui travaillent sur les sites de recherche ont vu que la clôture avait permis de sécuriser le campement. Nous avons donc mené des consultations avec les communautés pour voir comment nous pourrions mettre en œuvre le projet à Bomassa, cette fois pour sécuriser les cultures », explique Yves Londza, chargé du développement communautaire du Parc. 

    Et finalement, ce modèle a fonctionné. « Elanga est une initiative qui doit désormais être considérée comme un « cas d'école » et une réussite inhabituelle qui mérite d’être largement partagée », écrit Steeve Ngama.
    © S.Ramsay/WCS
  • Chaque matin, Lazar est chargé de vérifier l'ensemble de la clôture : la croissance des plantes, la chute des branches ou la dégradation des arbres sur lesquels elle repose pourrait entraîner une perte de puissance et rendrait la clôture inefficace. Basée sur un système de panneaux photovoltaïques et de batteries, la clôture électrifiée a la particularité d'être surmontée de longues aiguilles métalliques qui empêchent les éléphants de soulever la clôture avec leurs défenses sans recevoir de choc électrique. L'utilisation d'arbres existants comme supports de la clôture est l'une des raisons pour lesquelles le projet Elanga est un modèle réussi : en évitant la construction de piliers, le projet a permis d'économiser jusqu'à 30 % du coût standard d'une clôture électrifiée.
    © S.Ramsay/WCS
  • Depuis 2019, le projet fonctionne : aucun éléphant n'a réussi à entrer dans le champ. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir essayé : attirés par l'odeur des cultures, les éléphants viennent visiter le champ régulièrement, jusqu'à 15 fois en un mois en 2020. Grâce aux caméras-pièges qui ont permis d'observer leurs passages, nous savons que les visites des éléphants sont de moins en moins fréquentes. Les caméras-pièges sont maintenant utilisées pour essayer d'identifier d'autres espèces qui pourraient venir endommager les champs. Aujourd'hui, les seules traces restantes du passage des éléphants sont de grandes empreintes laissées lorsqu'ils ont fait demi-tour, dissuadés par la clôture.
    © S.Ramsay/WCS
  • Bien que des dizaines d'initiatives visant à réduire les conflits entre l'homme et la faune aient été envisagées, étudiées ou essayées par le passé, c'est l'électricité qui s'est avérée la plus efficace pour dissuader les éléphants. « La clôture électrique du projet Elanga est en soi une adaptation du principe des clôtures électriques aux conditions des forêts tropicales denses. Elle constitue une adaptation réussie d'une méthode qui a vu le jour dans les fermes d'élevage », écrit Steeve Ngama. 

    Elanga est un essai réussi, offrant aux communautés entourant le Parc National de Nouabalé-Ndoki l'un des moyens de dissuasion les plus sophistiqués contre les éléphants, à un prix abordable et avec une efficacité prouvée. Cette initiative, qui sera reproduite dans d'autres villages de la périphérie du Parc, a l'avantage supplémentaire de rendre tangible l'impact positif des efforts de conservation de la faune pour les populations locales.
    © S.Ramsay/WCS